Séminaire de Jacques Nassif

  

RENAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE

À QUELLES CONDITIONS ?

 

(Plan des premières séances,

des 10 & 24 novembre 2022)

 

  1. Le lien social entre psychanalystes

Introduction:

  1. D'où je pars :
  2. En 2018, tout était prêt pour la fondation d'un "Compagnie pour la Renaissance de la Psychanalyse en Europe" (CRPE).
  3. Tout était prêt, pour ce qui est de l'élaboration théorique à quelques-uns.
  4. Rien n'était prêt, au niveau politique, et pour des raisons que je serai peut-être amené à expliciter ici.
  5. D'où je parle :
  6. Du lieu de mon association qui me permet de vous inviter à m'écouter ce soir.
  7. D'une place qui n'est pas celle d'un psychanalyste historique, ayant traversé depuis cinquante ans la plupart des soubresauts qu'a connus le mouvement psychanalytique en France. (Encore que je ne pourrais pas éviter de faire état d'une certaine expérience)
  8. Mais à partir de ma position d'analysant inquiet pour l'avenir de la psychanalyse, étant donné ce qu'il en est des modalités actuelles de sa transmission.
  9. Car il me semble que le passage de relais est devenu indispensable :
  10. Seuls les analysants, même s'ils n'ont pas encore l'idée qu'ils forment une communauté, pourront désormais à mon sens retransmettre l'expérience qu'ils ont vécue.
  11. Ils sont les seuls à pouvoir la transmettre comme authentique, ayant tout intérêt à la faire valoir comme ayant changé leur vie.
  12. Et il sera ainsi démontré à quel point cette expérience est à chaque fois unique, disposant, comme une œuvre d'art, d'une certaine "aura" qui ne permet pas sa reproductibilité mécanique, pour reprendre ici les termes de Benjamin.

4.Production et formulation de ma thèse :

  1. Le lien social induit par le discours analytique est d'abord celui entre l'analysant et son analyste.
  2. Il en découle que ce lien social ne peut pas faire discours s'il prend pour origine le seul psychanalyste.
  3. Ce sont les analysants qui pourraient aujourd'hui demander à la psychanalyse de se démettre de son ancrage dans le "conflit des facultés" (pour reprendre le titre de Kant) et l'irréconciliable des relations entre un analyste et un autre, pour peu qu'il cherche à légitimer son existence ou son titre par l'une ou l'autre des "facultés" par lesquelles il est passé.
  4. Et d'abord, parce que la pudeur devrait être aujourd'hui suffisamment répandue parmi les analystes qui prétendent encore se soutenir dans un être, indépendamment de leur relation à tel ou tel de leurs analysants.
  5. Mais d'où viennent, aujourd'hui encore, ces analysants ?
  6. du malentendu d'un transfert, soit considéré comme force à exploiter dans la rencontre, soit considéré comme obstacle à l'action objective des mesures ou des molécules, ce qui empêche donc toute standardisation du soin, soit considéré comme le levier dont il faudra apprendre à se passer en l'analysant, soit enfin éprouvé comme négatif pour pouvoir dépasser son inéluctable advenue.
  7. de l'irréductible d'un symptôme, dans la mesure où sa teneur recèle une vérité qui ne saurait être assimilée au savoir d'une clinique, mais doit tenir compte des détails et des circonstances qui font un sujet autant que de la localisation particulière d'une parole "entre divan et fauteuil" qui ne saurait être généralisée.
  8. de la chance qu'ils auront eue de rencontrer un analyste, duquel ils auront su obtenir qu'il reste suffisamment longtemps l'analyste qui n'étouffera pas leur quête avec de la compréhension.
  1. La gageure d'une formation à un savoir-faire.

Il s'agira ici de faire constater à quel point le but d'une psychanalyse serait celui :

  1. D'une formation de l'analysant à appliquer la recommandation de la "règle fondamentale", allant de pair avec la formation de l'analyste à s'y soumettre lui-même, quand il écoute et qu'il choisit de dire ou taire une des pensées qui lui viennent à propos de la voix qu'il écoute.
  2. D'une formation qui ne se réduit donc pas, suivant l'admonestation lacanienne, à considérer qu'il "n'y a que des formations de l'inconscient", ces formations ne pouvant pas être lues, si elles sont prévenues par la prétention à se dire psychanalyste, sans s'être au préalable soumis à une formation, toute la folie des dernières années de pratique de Lacan pouvant être considérées comme une recherche systématique de toutes les impasses de l'acte analytique, s'il ne se soumet pas à ces règles.
  3. La renaissance de la psychanalyse serait donc conditionnée par une tentative de faire valoir que le but d'une psychanalyse est bien cette formation conjointe de l'analysant avec son analyste.
  1. En quoi consiste le “faire“ d'une psychanalyse

   qu'il s'agirait de retransmettre, en en faisant un "savoir"?

  1. C'est au départ un faire-semblant, toutes les confusions de la thérapie étant au départ de ce qui peut alimenter un transfert.
  2. Mais l'analysant de son côté, bien engoncé dans les bénéfices secondaires que lui apporte son symptôme, peut lui-même nous faire sentir qu'il n'est pas dupe.
  3. Ce faire est donc essentiellement le maniement de l'amour de transfert auquel il s'agit donc de fixer immédiatement les limites de certaines règles, si l'on ne veut pas se condamner à l'impuissance où s'enferme le professeur ou à la puissance à laquelle prétend le politicien.
  4. Ce faire répond à l'attente de l'analysant qui a toujours eu affaire, quand il se permet de dire enfin et souvent pour la première fois certaines choses, à des positions qui étaient celles soit du prêtre soit du médecin, caractérisées, l'une comme l'autre, par leur expression d'un interdit de parler ou de penser, l'analyste occupant la place de celui qui justement fait reconnaître que dans la situation qu'il instaure ce qui n'est pas permis n'est plus interdit.
  5. Ce faire de l'analyste, aucun sujet ne pourra y avoir accès, s'il ne commence pas par s'opposer résolument à l'enseignement universitaire.
  6. S'il s'agit d'un obstacle à surmonter, c'est bien dans la mesure où, dans la plupart des associations de psychanalyse, quand elles dispensent un enseignement, il est prétendu que, soit par la lecture des textes de Freud soit dans la reprise des énonciations de Lacan, c'est à un savoir qu'il y a lieu d'accéder.
  7. Or ce savoir ne permet pas d'assurer la diversité à laquelle il y a lieu de se raccrocher pour définir la position d'un psychanalyste ou sa formation, ni de préserver l'aléatoire de sa réussite ou de son échec.
  8. Car le maniement des manifestations de la personne à laquelle celui-ci aura affaire dans le cadre d'une psychanalyse sera laissé, si l'on s'en tient à ce type d'enseignement, au soin de l'intransmissible de qualités relevant davantage de la "bonne éducation" (même si celle-ci doit être plutôt assurée par l'analyse personnelle ou les contrôles, et non par un ersatz de famille ou un semblant d'école).
  9. Ce qui ne peut éviter de faire verser ce psychanalyste dans un conformisme institutionnel, alors que ce qu'il y a lieu de privilégier ce sera toujours la capacité à se rendre disponible et à inventer, si l'on veut que la formation dispensée dans les cures obtienne du sujet qu'il puisse à son tour offrir ce que l'on est en droit d'attendre d'une psychanalyse.
  10. Il sera trouvé inutile de continuer à gloser sur des textes déjà trop étudiés et ne relevant plus de l'invention nécessaire d'instruments nouveaux dans le cadre des obstacles qui se rencontrent pour la menée des cures dans le quotidien d'aujourd'hui.
  11. Ce qui amène un sujet à s'adonner à l'acte désespéré de dire n'importe quoi, comme le veut la règle, ne s'inscrit plus dans la psychopathologie ou l'adulation, comme au temps des maîtres que nous avons eus.
  12. Le paysage où peut s’insérer aujourd’hui la pratique d’un psychanalyste a changé, et plus particulièrement si l’on prend en compte la situation où se trouve celui qui souhaiterait se déclarer psychanalyste, ouvrir un cabinet et obtenir un nombre significatif de demandes qui pourraient, s’il sait s’y prendre, devenir des cures par la parole méritant le nom de psychanalyse.
  13. Freud enfin retraduit et Lacan mis à la portée de tous les internautes, en audio, vidéo ou en différentes versions qui se veulent plus fiables que la dite "populaire" par son transcripteur légitimé, apparaissent aujourd'hui comme des témoignages de ce que la psychanalyse pourrait être, et dans des styles notablement différents, mais il ne suffit plus de lire ces textes, même éclairés par la lumière souvent vive que les enseignants de l'Université peuvent jeter sur eux, pour devenir psychanalyste aujourd'hui.
  14. L’offre, de plus en plus cacophonique et dissonante, que prodiguent les différentes associations et regroupements d’associations dont on ne sait plus très bien si elles sont des corporations qui mettent l’analyse en listes ou des clubs savants qui promeuvent une science par laquelle ils ne sont pas eux-mêmes concernés, ne facilitent en rien que de nouveaux venus, analysants dont l'analyse pourrait déboucher sur l'éclosion du désir de l'analyste, puissent s'y repérer. La classe d'âge des analystes encore en exercice s'en trouve ramenée du côté de la sortie.
  15. Les différents États européens (et l'Italie, avec trente ans d'avance) ont pondu des lois sur le statut ou le titre de psychothérapeute qui ignorent significativement la psychanalyse, tout en sachant fort bien que ces mesures constituent le moyen le plus adéquat pour la neutraliser et la marginaliser, sous le prétexte que les usagers auraient besoin d'être protégés d'un charlatanisme.
  16. Ce qui est pris à la lettre par le législateur pour mener à bien un tel refoulement, c'est la prétention du discours des psychanalystes d'être encore plus efficace contre les troubles auxquels les médecins et psychologues prodiguent leurs soins, la psychanalyse n'ayant donc plus aucun avenir si elle ne parvient pas à complètement démédicaliser son savoir. La transmission de la psychanalyse, non pas en tant que prestigieux hochet théorique, mais en tant que pratique modeste et efficace de la « règle fondamentale », est donc sérieusement en péril.
  1. Ce savoir-faire doit pouvoir déboucher sur un acte
  1. Comment le définir ? Par sa localisation.
  2. Non dans le cerveau, comme à l'orée du discours de Freud, mais dans l'espace des activités sociales.
  3. Et pour le distinguer, tant des actes médicaux à visée thérapeutique,

que des actes juridiques visant à définir le légitime et l'illégitime des dépenses que comportent les différents services offerts aux usagers par l’administration étatique.

  1. C'est par sa localisation "entre divan et fauteuil" que cet acte se définit, donc chez quelqu'un dont le nom et l’adresse ont introduit une coupure dans l’espace de la communication sociale généralisée au sein de laquelle nous sommes aujourd’hui amenés à vivre, tendant à abolir tout espace privé.
  2. La condition suffisante pour qu'un acte soit défini comme analytique, c'est qu'il parvienne à rétablir un lien intrinsèque entre la localisation et la parole, non seulement pour permettre de comprendre la teneur de tous les shifters que comporte l’usage d’une langue, mais aussi pour parvenir à redéfinir le sens de chaque énonciation en fonction du contexte à rétablir de chacun de ses énoncés.
  3. Cette localisation doit encore s’étendre, si on tient compte de l’emplacement dans le temps de ces localisations langagières, ce qui implique, comme dans tous les modèles de la topique freudienne, une retraduction à chaque frontière entre une langue et une autre ou une époque et une autre, c'est-à-dire, la levée d'un refoulement.
  1. La psyché, écrit le dernier Freud, est étendue, à son insu.

Tirer toutes les conséquences de cette thèse doit permettre

de distinguer l'acte analytique de l'acte médical :

  1. Cette intuition finale renoue avec l'intuition primitive de la biologie fantastique du Projet de psychologie scientifique, visant à décrire comment la quantité extérieure est retraduite, quand elle passe dans la boîte crânienne, pour être réduite à la quantité infinitésimale des différentes qualités.
  2. L’acte médical consiste à obtenir une restitution in integrum de ce que serait le lieu psychique, à l’une ou l’autre des surfaces dont sont constitués les différents systèmes des opérations à partir desquelles un corps doit pouvoir fonctionner normalement. Il consiste donc à parvenir à isoler le point où ces tissus ont été déchirés ou atteints par l’agression d’un élément extérieur où se manifeste l’irruption d’une quantité trop grande et que le corps ne parvient pas à métaboliser.
  3. La psychanalyse à la Hitchkock en est restée à une identification du lieu psychique avec ces lieux du corps où se repère l’agression, la réminiscence de l’événement traumatique étant supposée permettre la guérison. Si Freud lui-même en était resté à cette assimilation de la psychanalyse à une tentative nouvelle de guérir les sujets de ces traumas que produit plus particulièrement la vie sexuelle, il n’aurait été qu’un médecin plus honnête que les autres, mais n’aurait rien inventé de particulièrement nouveau, permettant de distinguer son discours de celui de la médecine.
  4. Le lieu psychique de la biologie fantastique freudienne est constitué de voies convoyant la quantité de la périphérie et permettant de la retraduire en un niveau acceptable. Or les circuits par où se traduit le passage de cette quantité toujours trop excessive sont à considérer comme des fibres, c’est-à-dire, en dernières analyse, des tubes de diamètre de plus en plus petit. Plus la quantité augmente plus elle devra donc passer par les tubes les plus fins, si bien que la quantité de l’excitation venue de la perception (le système phi) se traduit dans la mémoire (le système psi) « par de la complication », écrit Freud.
  5. L’acte analytique se définirait donc très précisément comme l’invention des moyens permettant de résoudre cette complication, en identifiant ses éléments, soit en re-parcourant le passage de la quantité par tous les tubes de plus en plus fins par où elle est parvenue à passer. Cet acte ne consiste donc pas à réparer, mais seulement à reproduire et à restituer la conscience de ce qui s’est passé, lors de ce passage et de cette retraduction de la quantité en qualités.
  6. Cet acte consiste donc à repasser du territoire à la carte qu’il se donne le moyen de retracer, en retransformant ce qui s’exprime par les ratés de la machine (les dites “formations de l’inconscient”, auxquelles on a accès à travers l’écoute du langage oral) en une écriture qu’on se rendrait capable de déchiffrer. Et c’est bien donc le retour au vrai lieu des actes psychiques qui permettrait de définir l’acte analytique comme une forme de retranscription et de lecture de ce lieu, qui serait à redécouvrir et exhumer comme étant le territoire de l’inconscient.
  1. Ce lieu est donc à définir comme un support ou une surface sur lesquels pourrait se déployer cette écriture pour la rendre lisible.
  2. Ce lieu est urbain et se voit structuré par la division entre le dit sur le divan et l'évoqué de ce qui s'est passé dans la rue, cette distinction étant celle entre le non hasard de la vie intérieure qu'il y a lieu de cerner pour le donner à lire, et le hasard extérieur.
  3. La distinction se précise encore comme introduisant une différence entre la ville et ce qui s'y dit dans une langue, et la maison qui est tour à tour celle du sujet et celle du psychanalyste chez lequel il se rend pour pouvoir dire chez lui tout ce qu'il ne dit pas, mais qu'il vit ailleurs.
  4. Cette maison dans laquelle un sujet se retrouve est bien celle du dessin d'enfant avec une porte et deux fenêtres, cette maison, si tout va bien, étant posée sur la ligne d'un sol, avec un chemin qui mène à sa porte et une cheminée qui évacue sa fumée dans un ciel où se profilent le soleil et la lune.
  5. L'enfant, comme le philosophe présocratique, édifie par sa maison une combinaison entre les quatre éléments primordiaux, la terre et l'eau étant le moins visiblement retranscrits, mais l'air et le feu devant y être reconfigurés.
  6. Si l'air est le médium où s'émet et se fait entendre la parole, le feu est à identifier en ces différents points du corps-maison où le signifiant a laissé les traces d'une jouissance sous forme de suie dans les conduits.
  7. Une psychanalyse (chimney swweeping, disait bien Anna O), cela va donc consister à confier à un psychanalyste la tâche d’aller ramoner dans les conduits de son histoire et dans les fondations et l’orientation de sa maison, en employant pour cela les plans et reliefs que fournit une écriture de la voix, les brosses et tiges qu’apporte le langage, mises en jeu par ce ramoneur de la parole que peut devenir celui qui acceptera, lui, d’aller au charbon, voire qui ira jusqu’à permettre, en bon écrivain des inflexions de la voix qu’il écoute, une réorientation de cette maison dont il a dû soulever le toit, comme Asmodée dans le roman de Lesage.
  8. La Suie qui peut donc obturer une cheminée et empêcher que le feu continue de brûler sans à-coups dans la maison d’un sujet, est donc à identifier, la plupart des psychanalyses qui peuvent encore démarrer aujourd’hui se mettant en route à partir du moment où ce sujet a pu constater l’échec de ses tentatives de psychothérapie, qui se contentent de tenter de ranimer la flamme à grands coups de soufflet, sans aller voir où la suie a bien pu se nicher dans les conduits de sa cheminée.

 

Renaissance de la Psychanalyse,
à quelles conditions ?
(deuxième séance du 24 novembre)

Rappel:
1. Ce jour-là, les obstacles de la grève, mais aussi de la concurrence :
a. Pommier présentant son livre : Mon aventure avec Lacan.
b. Thomas Insel s'offrant au dialogue avec les psychiatres de France.
2. Les points forts de ce que j'ai dit :
a. L'avenir de la psychanalyse est entre les mains des analysants, s'ils s'aperçoivent qu'ils peuvent former la communauté dont les psychanalystes eux-mêmes se révèlent incapables.
b. Le but des différentes psychanalyses est celui d'une formation à l'exercice de la règle fondamentale.
c. Le ni permis ni interdit des règles de maniement du transfert ainsi généré servant à sortir de l'impuissance du professeur ou de la puissance du politicien.
3. Se résoudre pour cela à rompre avec la politique de transmission des associations de psychanalyse actuelles
a. Car elle dissocie le savoir convoyé par le discours de Freud et Lacan ressassés, de la bonne éducation du praticien, assurée par l'analyse et les contrôles, mais qui peut aboutir à un conformisme institutionnel et brider la capacité du futur analyste de se rendre disponible et d'inventer.
b. Les lois européennes sur la psychothérapie qui aboutissent à marginaliser et à neutraliser la psychanalyse, ne font que prendre à la lettre la prétention des associations de psychanalyse à présenter leur discipline comme la seule psychothérapie qui vaille.
b. La psychanalyse n'a donc aucun avenir si elle ne parvient pas à se démédicaliser et à se distinguer d'une cure de quelque psychopathologie que ce soit
4. Refonder la psychanalyse comme un acte qui réarticule la parole avec le lieu
a. Entre divan et fauteuil, ce qui instaure une rupture avec la communication généralisée qui se veut ubiquitaire et sans lieu ni feu.
b. Cette localisation rétablit la complexité d'une fibrillation qui convoie la quantité des émotions dans le plus ramifié des détails et circonstances.
c. Freud n'est donc pas seulement le médecin plus honnête que les autres tenant compte de l'impact de la sexualité dans la vie psychique, mais l'inventeur d'une biologie fantastique qui confine avec la mythologie présocratique d'un réagencement du sujet dans le monde.

TR. Je vais donc m'aventurer à repenser le corps humain dans les termes préscientifiques de ces quatre éléments fondamentaux que sont la terre et l'eau, l'air et le feu.
1. La glaise dont nous sommes faits (os et muscles, viscères et conduits) est un appareil à mémoire : elle enregistre ou innove ; elle a besoin de lumière, comme les plantes, et de nourriture, comme les animaux.
2. L'eau qui nous constitue à 80% est le grand conducteur de notre énergie.
3. L'air que nous aspirons sert à oxygéner notre sang et à lester de son notre communication, les mots devenant la matière de notre vie.
4. Le feu désignera ce soir la substance qui fait de nous des êtres destinés à la jouissance d'une certaine chaleur ni trop excessive ni trop médiocre.
Ce corps et sa maison sont à l'origine indistinguables.

 

A. Ce qu'est la maison d'un sujet.

 

1. L’espace dans lequel elle se déploie est d’abord unidimensionnel :
a. La bande de Moebius et son absence d’envers : le corps est sa propre maison
b. La naissance se concrétise dans la verticale de la chute et de la remontée de la verticale que reproduit le mouvement du ludion actionné par la différence de densité entre l’eau et l’air
c. Le mnésique est d’abord l’olfactif qui se propage dans un espace sans distance, donc sans autre
d. L’accès au bidimensionnel se fait au travers de l’otique et du rapport entre le son et l’ouïe
2. Nous habitons d’abord le flat land.
a. Cet espace est façonné par le cri de la voix qui dessine la distance de l’autre qu’elle convoque pour qu’il se rapproche ou dont elle constate que les pas s’éloignent
b. Cet espace est potentiellement langagier et dessine la pellicule signifiante qui va envelopper le corps d’un enfant dès son premier cri
c. Cet espace est celui du premier dessin qui retrace le dessein humanisant d’habiter une maison avec porte et fenêtres, dotée d’une cheminée dont se dégage la fumée du feu qui la réchauffe
d. Si cette maison n’est pas posée sur une ligne dessinant le sol sur lequel elle se pose, permettant de distinguer la terre du ciel, il sera difficile au sujet qui l’habite de construire pour lui la troisième dimension, seule susceptible de le faire accéder à la différence entre les mots et les choses et à lui offrir un horizon vers lequel diriger ses pas, dès qu’il aura pu se tenir à son tour sur ses pieds
e. Mais ce bi-dimensionnel est à l'origine du mirage de l'identification à l'image dans le miroir, à la fois constitutive et leurrante
3. Le sujet humain parvient à constituer l’espace tridimensionnel,
en dessinant des portes et des fenêtres dans l’espace plat de sa maison
et en découvrant des trous et des tuyaux dans la perception de son corps :
a. Il s’agit de la première conquête, certes obtenue musculairement par la possibilité octroyée de se tenir debout, mais animée par l’éveil de la pulsion dromique permettant d’aller vers l’horizon.
b. La découverte du premier trou, en tant qu’orifice excréteur, se fait à propos de l’'invisible de ce trou de la défécation plutôt qu’à propos de la bouche, qui a déjà servi dans les étapes antérieures pour émettre le cri ou recevoir le sein, le trou de la miction, lui visible, étant à l'origine de la volonté, en tant qu'elle dérive du pouvoir de resserrer un sphincter.
c. La découverte du premier conduit est liée à la faim et à la soif assouvies, autant que dans l’acte de s’exonérer de l’excrément qui encombre l’intérieur du ventre, le corps n’étant plus dès lors vécu comme sans organes.
d. La découverte des voies respiratoires se fait dans le plaisir du bain, lorsqu’un enfant se souvient de la flottaison, mais dans le déplaisir que le risque de s’y noyer entraîne, si se constate un étouffement par l’obstruction de ces mêmes voies.

 

B. Qu’est-ce que la cheminée ? Et quel est son fumiste ?

Introduction : Sur la différence entre Freud et Lacan, qui découle donc de la différence entre le modèle thermodynamique de Freud, dans lequel la propagation de l’énergie est continue jusqu’au moment où elle aboutit à son entropie, et le modèle lacanien de la jouissance qui est, lui, discret et qui s’inspire des modèles de la physique quantique avec ses ruptures de continuité suivant l’observateur.

1. Le feu, ce n’est pas du liquide.
a. Le corps, dans la psychanalyse, ne se définit pas par le retour au même, une fois qu’il a été traversé par une onde, mais par son anti-typie, c’est-à-dire, par les traces, mnésiques pour Freud, ou d’impact du signifiant chez Lacan.
b. Une guérison, s’il y en avait, ne peut donc pas se définir par le retour à l’état antérieur, mais par l’écoute, donc la lecture correcte, des mots qui sont venus à un analysant durant la séance.
c. Ce qui fait trace, c’est donc une différence de chaleur susceptible d’aller jusqu’à obstruer l’écoulement des différents liquides du corps ou des différentes particules d’énergie dans les synapses du cerveau, étant bien posé que la quantité, plus ou moins importante de cette chaleur, se traduit par de la complication, c’est-à-dire, par le passage dans des conduits de plus en plus fins et ramifiés de la mémoire ou du cerveau.
2. Analyser, c’est se donner les moyens de circonscrire le feu dans un corps,
en localisant la cheminée dans sa maison.
a. La naissance d’un corps, c’est la perte de constance de sa température, avec la découverte du froid ou la peur du trop chaud qui pourrait le brûler (fièvre ou douleur de l’obstruction de ses liquides, plus ou moins épais, dans leurs conduits).
b. Le processus de l’éducation des pulsions ou celui de soumission du corps à l’action des signifiants consiste à faire dépendre la chaleur qui lui donne son énergie d’une localisation, analogue à celle d’une cheminée dans une maison, même si les sources de cette énergie finissent par se localiser en différents points du corps.
c. La réduction au langage et à la seule action des mots sur l’oreille, ce que j’appelle la dimension de l’otique, a pour fonction de permettre la description des circuits empruntés par l’énergie de vivre ou la pulsion de mort, afin de les libérer ou de les colmater.
3. Qu’est-ce qu’un bon fumiste ?
a. Un spécialiste des effets de la suie sur les conduits, qui, étant donné l’amphibologie de ces termes en français,
1) ne se prend jamais au sérieux, car il n’est que supposé savoir et serait plutôt un adepte du non-savoir,
2) doit pourtant aller au charbon, en offrant une maison où le feu de sa propre cheminée servira à retracer ou retrouver les circuits de la fumée dans la maison de l’analysant dont il soulève le toit,
3) passe constamment de la suie au suis, rétablissant dans l’être la valeur d’usage d’une jouissance plutôt que sa valeur d’échange.
b. Ce fumiste ne peut cependant pas isoler ou localiser la maison de son analysant de son environnement social ou politique, prenant donc en compte :
1) sa situation géographique qui détermine son climat, son niveau d’humidité ou d’exposition au vent,
2) son enracinement dans la terre que sont pour cette maison du sujet sa généalogie, sa langue et sa culture,
3) la mémoire des différentes maisons dans lesquelles son corps s’est inscrit ou de sa capacité d’être sédentaire ou nomade, d’appartenir à un seul lieu ou de désirer voyager.
c. Ce spécialiste de la tuyauterie humaine ne devrait pas cependant confondre :
1) la carte que sa position d’écoutant lui permet de retracer d’avec le territoire qu’arpente l’analysant qui vient le retrouver en son lieu nécessairement fixe et inamovible,
2) la théorie qui inspire sa pratique, d’avec les parcours toujours erratiques et nouveaux par lesquels le fera passer celui qui vient le trouver.

 

C. De l’importance et de la qualité du feu dans la vie d’un sujet

1. Pas de fumée sans feu, c’est-à-dire, pas de symptôme sans jouissance
a. Une psychanalyse ne saurait vraiment commencer si un symptôme n’en est pas reconnu comme cause, où c’est un sujet qui est mis en jeu par les bénéfices secondaires qu’il en tire
b. Cette psychanalyse ne saura donc, à partir de là, se dérouler qu’en restant à l’enseigne de la contradiction et du conflit, chaque avancée dans la compréhension des raisons du symptôme étant liée à une renonciation de jouissance
c. Le feu de cette jouissance se découvre comme ayant servi à graver à la surface du corps la marque d’un signifiant, presque toujours ambigu, inconscient oblige
2. Le feu n’apporte aucune satisfaction au désir,
mais a été la condition de toute satisfaction
a. Toute mémoire ou tout oubli dans la vie d’un sujet vient du feu qu’il a su endurer ou utiliser, pour se réchauffer ou pour fuir le danger de s’y brûler.
b. Ce feu du “narcissisme primaire” des freudiens d’autrefois est, en fait, complètement allogène, dérivant de l’odeur, puis de la voix de l’autre primordial, dont le sujet a obtenu l’aide au moment de son désarroi primaire, lui donnant ainsi le désir de se procurer le feu du désir de l’Autre pour lui, cet autre auquel il offre, une fois qu’il l’a rendu spéculaire, le combustible de son amour inconditionnel.
c. Le feu est donc ce qui divise le sujet dans le temps, répartissant la vie de ce sujet entre compulsion à répéter et obligation d’innover.
3. Brûler n’est pas jouer
a. La pulsion est le dispositif inventé pour ne pas brûler l’objet, mais ou le contourner ou l’absenter, afin de relancer le désir, en s’appuyant sur la grammaire du corps
b. Il y a quatre pulsions : l’otique, l’orale, l’optique et l’anale :
1) entrant en jeu dans l’ordre où je les ai énoncées,
2) ayant chacune des buts, des sources et des objets distincts,
3) mais s’alimentant au même feu de l’aliénation à la jouissance visant à tuer le désir
c. La qualité du feu obtenu dans leur combustion dépend :
1) soit du bon entrelacement entre les buts qu’elles se donnent
2) soit de la bonne désintrication entre elles permettant leur sublimation
3) soit enfin de leur contribution à cerner le non sublimable du besoin d’amour auquel le désir ne cesse de nous inciter à devoir souscrire

D. Il n’y a pas de feu sans fumée et donc sans suie dans les conduits

1. La psychanalyse se réduit-elle donc à un ramonage ?
a. Le parcours des associations, avec leurs déviations et leur engorgement, ont, en effet, permis de retracer le passage de la fumée au travers des conduits par où le feu a pu se disséminer.
b. La route de ce feu, suivie à rebours, a permis de remonter à l’enfance et de désigner comme l’un des buts d’une analyse la levée de l’amnésie infantile, sinon la reviviscence créative d’une épiphanie par la remembrance.
c. Mais la suie que les brosses des mots ont suivie aurait tendance à enfermer la psychanalyse dans le curage de la névrose infantile et à réduire cette pratique à une cure par la parole de la perversion polymorphe, soit à ré-autoriser dans une amoralité décomplexée soit à convoyer vers une adaptation aux normes du social, censées, au mieux, récuser l’endogamie du modèle œdipien et, au pire, le prendre pour idéal de réalisation réconciliée d’un inceste sublimé et inévitable.
2. La suie, une fois recueillie, peut justement rouvrir la voie à un “je suis” qui ne se contenterait plus d’être celui qui suit, pour devenir celui qu’il est.
a. l’avenir de la psychanalyse passe aujourd’hui par l’ouverture d’une voie neuve : celle consistant à repartir d’une maison où chacun aura assumé et reconnu sa différence pour fonder un couple qui ne serait plus, au départ, celui de l’enfant avec son parent, mais un couple que le sujet aurait le courage de fonder, quel que soit son sexe, avec l’autre qu’incarne le féminin, en tant qu’objet d’amour, et pas seulement objet du fantasme nécessairement pervers du désir infantile.
b. Ce couple est justement préfiguré par le couple de l’analysant avec son analyste, appelé à se superposer, une fois accomplie la tâche d’analyser l’amour de transfert qui l’a caractérisé, à un couple moins réduit à la seule parole, où ce sera la différence elle-même qui pourra être érigée en objet d’un amour permettant d’échapper soit à l’amour du double soit à l’amour du maître qui légitime votre servitude volontaire.
c. Donner pour but à l’analyse la capacité recouvrée de passer d’un amour de transfert à un amour qui ne serait plus confondu avec lui, comme chez Freud ou Lacan, a pour condition que l’analyste auquel on confie cette tâche ait lui-même une vie de couple non aliénée à la jouissance de l’enfant pervers, et qui soit donc en mesure de renoncer à ces abus auxquels le transfert peut mener, qu’ils soient de l’ordre de la satisfaction sexuelle ou de la prise de pouvoir institutionnelle.
3. On aura donc compris, par ces jeux de mots du fumiste ici invité, que la suie n’est donc pas à éliminer et que la psychanalyse n’est pas une thérapie.
a. Le but d’une analyse pourrait ainsi se résumer en une quête de savoir qui je suis, pour mieux savoir ce qu’il me convient d’espérer, si je lui voue mon désir, cessant donc d’errer d’échec en confirmation.
b. Cette forme de sagesse posée en but à atteindre diffère de l’idéal hitchkoquien d’une guérison du symptôme supposément causé par un trauma dont il suffirait de revivre l’occurrence dans le feu d’un transfert, agissant comme contre-feu.
c. Une analyse ne répare donc pas les conduits défectueux d’une maison dont la cheminée intoxique, mais permet plutôt de quitter la maison de son enfance pour en construire une autre, mieux conforme au terrain et aux vents dominants, permettant d’offrir à un autre la chaleur d’un partage harmonieux.

Conclusion :

1. J’ai suivi les chemins tracés par une métaphore pour vous faire passer par les chemins que j’emprunte dans ma tentative de repenser la psychanalyse, afin de parvenir à rester psychanalyste.
2. Ces chemins avaient encore tous à voir avec une spatialisation, tant de la théorie que de la pratique.
3. Dans cet espace, je n’ai fait que rencontrer de la fibrillation, ce qui me ramène à la logique en réseau dans laquelle nous immerge la science d’aujourd’hui, à ceci près que cette logique ne saurait être considérée ici comme une arborescence toujours binaire, comme en informatique, mais comme le ternaire d’une logique de l’observable ou non ayant précisément cours dans la physique quantique.
4. Dans cette logique, la part du tiers inobservable serait donc à attribuer à cet hétérogène inassimilable de l’inconscient, qui serait donc à rebaptiser. Peut-être le terme d’inconnu pourrait-il lui être attribué à plus juste titre ? D’autant que la psychanalyse est bien et doit rester la relation que l’on noue avec un inconnu à qui l’on pourra cependant confier le plus intime.